Depuis le 9 mars, après chaque manifestation contre la loi Travail, les commentaires, déclarations et articles condamnant les casseurs se sont succédé. Jusqu’ici, rien d’étonnant, c’en est même devenu une tradition, mais alors que les Bonnets rouges, par exemple, qui se « contentaient », en 2013, de démonter les portiques de détection pour l’écotaxe, n’ont jamais été évoqués, dans les mouvements sociaux, les casseurs sont systématiquement pointés du doigt.

Les casseurs, définis par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales comme partisans de la violence comme moyen d’action contre un régime politique, ont fait leur grande apparition dans le champ politique français avec la loi no 70-480 du 8 juin 1970 dite loi anti-casseurs. Cette loi de circonstances, votée après mai 1968, permettait notamment de condamner une personne, en raison d’agissements commis par des tiers -y compris par des provocateurs, bien que n’ayant elle-même commis aucune violence. Abrogée en 1982, un sénateur UMP en a demandé le rétablissement en 1998.

Cette évocation permanente n’est hélas pas uniquement un effet de style. Elle a un objectif clair : distinguer les casseurs et les manifestants, mais surtout sommer les manifestants de se positionner et d’affirmer « Nous ne sommes pas comme eux, nous ne sommes pas des casseurs ». Hélas, à aucun moment n’est précisé où se situe la ligne fluctuante entre casseurs et manifestants puisqu’on peut observer une nette tendance à la répression de ce qui était jusqu’ici considéré comme manifestation : Huit anciens salariés de Goodyear ont été condamnés à neuf mois de prison ferme ; des salariés d’Air France sont poursuivis au pénal pour une chemise arrachée ; Monsieur Gattaz assimile les pratiques de la CGT à une minorité se comportant comme des voyous, des terroristes ; Franz-Olivier Giesbert estime que la France est soumise aujourd’hui à deux menaces qui, pour être différentes, n’en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT. Les déclarations des salariés concernant les interventions de police pour débloquer les raffineries, selon la terminologie officielle, sont sans équivoque  » On s’est fait tirer dessus au flash-ball et arroser au canon à eau, sans sommation « ,  » L’intervention des CRS était très musclée, aucune discussion, aucune sommation, flash-ball  « ,  » On est quasiment dans des scènes de guerres pour lever simplement un barrage. « 

Dans ce contexte, si l’on veut continuer à se conformer à l’injonction de choisir son camp entre casseurs et manifestants, comment peut-on être certains du côté de la ligne où l’on sera classé ? Quid, des dockers, pourtant de la CGT, dont les images de l’intervention, en fin de manifestation circulent sur internet ?

Ne faudrait-il pas plutôt s’interroger sur la signification politique de ce cortège en amont des cortèges officiels, qualifié de cortège off, cette manifestation, selon les termes de Jean-Marie Godard, « des « inorganisés », de celles et ceux qui, toujours plus nombreux de défilé en défilé depuis la première manif le 9 mars, choisissent de marcher sans service d’ordre, sans vraiment de porte-parole, en tête, dans une joyeuse pagaille », et au sein duquel et non en dehors, les éléments les plus radicalisés et les plus déterminés agissent.